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"CERTAINES BANLIEUES SONT ISLAMISEES ET C'EST DEVENU NORMAL"


 
Le 30 mars, Charlie Hebdo a consacré
à la communautarisation d'une partie croissante

du tissu périphérique urbain
un remarquable reportage.
Il faut lire les témoignages de Nadia Remadna,
Laurence Marchand-Taillade ou M'barek Marir
qui confirment, si besoin était, le soutien
apporté par les élus eux-mêmes à un phénomène
en constante expansion.    
(c) Philippe Desmazes (AFP)

Le social, c'est son truc. Déléguée de parents d'élèves, médiatrice scolaire, travailleuse sociale, de Tremblay-en-France au Blanc-Mesnil en passant par Sevran, où elle réside, dans ces villes du 9-3 situées "au-delà du périph" où les cités sont devenues des ghettos dans lesquels s'entassent des populations d'"origine étrangère", comme on dit, Nadia Remadna, c'est, depuis plus de vingt ans, celle que l'on appelle, que l'on vient voir, à n'importe quelle heure, en cas de coup dur. Pour trouver un établissement pour son gamin déscolarisé, remplir les dossiers de CMU, pour l'aide au logement, l'aide médicale, chercher une solution pour le jeune qui sort de prison, accompagner au tribunal celui qui s'est fait serrer en train de dealer, réconforter et soutenir les femmes battues. Et aussi quand ça bastonne dans les quartiers. "Malgré tout ce qui a été mis en place par les gouvernements, les différentes politiques de la ville, il y a de plus en plus d'enfants en échec scolaire, de gens dans la précarité et de délinquance. De plus en plus de mamans aussi qui viennent en pleurant parce que leurs enfants meurent dans des règlements de comptes", constate-t-elle. En juin 2014, elle décide de créer la Brigade des mères. Pour "protéger les enfants".

Car, pour elle, il y a désormais urgence. Une urgence d'autant plus grande qu'est venu se greffer un autre problème, "la radicalisation". Une question bien concrète à Sevran, où l'on dénombre déjà une demi-douzaine de jeunes Sevranais - dont certains convertis - "tombés en martyrs en terre de califat", selon la formule consacrée, comprenez en Syrie ou en Irak. Et où l'on parle d'une quinzaine de départs pour rejoindre les rangs de Daech. "Tout ce qui se passe, cela ne s'est pas fait par hasard, du jour au lendemain. Ça s'est construit, installé. Les banlieues sont islamisées et, le plus choquant, c'est que c'est devenu normal. Voir une fillette de trois ans voilée, ça ne choque personne, déplore Nadia. Les sociologues, les experts, les politiques, tout le monde est à côté de la plaque. Moi, je fais une analyse de terrain, je vis avec eux, je travaille avec eux, j'habite avec eux depuis des années. Je sais comment cela fonctionne, et le pire dans tout cela, c'est que, ici, les élus ferment les yeux, participent aussi à la radicalisation dans les quartiers. Ils sont lâches et ils nous lâchent."
 

Calmann-Lévy, 2016
Une réalité que cette républicaine convaincue, toujours prête à se lever pour défendre la laïcité, l'éducation et les droits des femmes, dévoile dans un livre (1) paru en janvier.
Petits arrangements clientélistes contre bulletins de vote, complaisances religieuses et islamisation de la vie sociétale à travers des subventions accordées à certaines associations communautaristes - voire délégation des missions régaliennes de l'Etat -, droits des femmes en constante régression, enfermement des "communautés" dans leurs cultures et coutumes, prétexte de la victimisation, réticences des édiles pour faire appliquer et respecter la loi..., les dérapages sont nombreux. De la fourniture par la mairie des barnums qui fleurissent un peu partout dans les cités pour la rupture du jeûne lors du ramadan jusqu'aux yeux fermés sur le quasi-couvre-feu auquel sont soumises les femmes après 18 heures... Un coup de gueule qui se transforme en succès médiatique. Nadia Remadna enchaîne les entretiens, est invitée sur les plateaux télé. "J'étais contente. Je me disais, enfin, on va nous entendre, nous écouter. Je vais ramener la parole du terrain, admet-elle. Puis il y a eu le reportage sur TF1 [journal de 20 heures du 11 mars ; ndlr] où, à un moment, donné, je dis que nos enfants ont plus besoin d'écoles que de mosquées."

Petite phrase, gros effets. Lundi 14 mars, en début de soirée, le téléphone sonne. Au bout du fil, une voix masculine, anonyme, lui annonce que "l'on sait où [ses] enfants vont à l'école" et que "[sa] fille est très jolie". Elle est prévenue : "On va t'envoyer de vraies mères musulmanes." Le lendemain matin, une bonne demi-douzaine de ces "vraies mères" l'attendent devant chez elle, dûment voilées, pour dire qu'elles préfèrent les mosquées aux écoles. "Je leur ai bien rappelé qu'elles n'étaient pas les dernières à m'appeler quand leurs enfants sont exclus ou que l'une ou l'autre est victime de violences conjugales. Que si je demandais des écoles, c'est pour éviter que nos enfants se retrouvent au chômage ou remplissent les prisons. Elles sont parties en me recommandant de bien faire attention à moi."  

Dans l'heure qui suit, Nadia déposait plainte. Laquelle sera qualifiée de "menace de mort faite sous condition". Une situation qui, semble-t-il, n'émeut guère les élus locaux. Il lui faudra attendre plusieurs jours avant que Stéphane Gatignon [maire Union des démocrates et des écologistes de Sevran, ndlr (2)], celui-là même qui voulait faire venir l'armée à Sevran il y a deux ans, ne lui envoie une petite lettre de soutien - le minimum syndical, en somme. "Pourtant, il connaît mon travail sur le terrain, je lui ai moi-même présenté notre Brigade des mères, regrette-t-elle. Pareil pour Clémentine Autain [conseillère municipale de Sevran pour le Front de gauche, ndlr], qui se dit féministe et dont j'avais rejoint la liste pour les dernières municipales. On s'est disputées au second tour pour une connerie, mais elle aurait quand même pu m'appeler. Clémentine, elle est comme les autres, elle veut des voix. Maintenant on en est là et on fait quoi ? On attend qu'une femme et ses enfants se fassent zigouiller et après on va dire, comme pour Charlie : 'Ouais, mais elle aussi, elle a abusé, elle a demandé une école !' Ce qui me fait le plus mal dans tout ça, c'est que c'est moi qui dois me justifier, m'excuser. Mais si les politiques avaient fait leur travail, je n'en serais pas là."


Surenchère perpétuelle


Le cas de Sevran est cependant loin d'être isolé. Ni nouveau. Cela fait maintenant plus d'une trentaine d'années que ce phénomène de radicalisation est apparu dans les banlieues parisiennes. Au milieu des années 1980 débarque à Argenteuil, dans le Val d'Oise, un certain Yashar Ali, réfugié politique kurde devenu chantre de la parole salafiste dans les quartiers avant de tomber, en 2004, sous le coup d'une demande d'expulsion formulée par le ministère de l'Intérieur, qui l'accuse de propager "une idéologie appelant à la haine contre le monde occidental et les Juifs".

"Argenteuil a en fait été le point de départ de formation d'imams radicaux qui ont ensuite tissé un réseau partout dans le Val d'Oise, les Hauts-de-Seine et une partie de la Seine-Saint-Denis", rappelle Laurence Marchand-Taillade, la présidente de l'Observatoire de la laïcité du Val d'Oise, une structure qu'elle a créée en 2010 pour promouvoir la laïcité, certes, mais aussi pour répondre "à des dérives de plus en plus graves sur le terrain". Car des dérives dans ce département, il y en a. Bail emphytéotique à Cergy accordé pour des terrains destinés à la construction d'une mosquée quand cela n'était pas encore légal, attribution de logements à Argenteuil, soutien scolaire assuré en arabe, Coran sous le bras, à Franconville, réserves parlementaires distribuées en toute opacité un peu partout... "Quand on voit qu'Argenteuil, ville de 100 000 habitants, a basculé pour 90 voix aux dernières municipales, les voix glanées ici ou là sont importantes, précise la jeune femme. Il n'y a plus de ligne idéologique. On fait en fonction de la demande. En fonction d'un cahier des charges que les électeurs auront donné au candidat et qui ne garantit même pas la réélection puisque c'est une surenchère perpétuelle. Ça ne s'arrête jamais."

Affabulations ? Pas sûr. Ces pratiques, M'barek Marir les a vues de près, lorsqu'il s'est présenté, sous l'étiquette MoDem, aux législatives de 2007 à Cergy. "Les islamistes venaient clairement nous voir pour nous dire : 'Si t'es partant, si tu nous donnes l'accord pour la création d'une mosquée, on met tous nos fidèles, nos frères et soeurs, pour ta campage'. J'ai refusé." Pas question pour autant de jeter la pierre aux seules organisations islamistes. "Pendant ma campagne, j'ai été invité par tout le monde, les cathos, les protestants, les musulmans. Un député du coin appelle ça 'pisser sur ses poteaux'. C'est-à-dire que, avant les élections, il faut donner un peu de pognon pour restaurer le clocher, financer ceci, cela. En général, ce genre de petites rencontres se fait pendant les législatives, mais, comme les associations cultuelles musulmanes ont un peu de retard en la matière, elles le font aussi pour les municipales. Et, comme souvent, ça se joue à peu, une petite prière par-ci ou par-là et tu fais la différence."



5 octobre 2011
"On est dans un système complètement vérolé, qui touche toutes les villes où différentes communautés se partagent le terrain, reprend Laurence Marchand-Taillade. Une ancienne députée me demande de venir parler de la laïcité pour l'aider sur des dérives qu'elle a observées à Toulon, je dois intervenir à Perpignan, à Caen, à Nantes. Une personne de Toulouse m'envoie régulièrement les discours prononcés dans une mosquée salafiste de la ville". Des interventions qui dérangent. Comme lorsqu'elle arrive à faire interdire la venue de trois imams plus que douteux en France : Mohamed Ratib Al-Nabulsi, Syrien pro-Hamas appelant à l'élimination des apostats et des homosexuels. Abouzaïd Al-Mokri, antisémite marocain notoire prônant la disparition d'Israël, et Abdallah Salah Sana'an, l'imam de Médine, en Arabie saoudite, connu pour son soutien au djihad. Du beau monde donc, invité à s'exprimer lors d'une réunion placée sous les auspices de l'Union des organisations islamiques de France, l'UOIF, proche des Frères musulmans, le 7 février dernier, à Lille. Réunion dont la guest star n'était autre que Tariq Ramadan...

Le 8 février, à 23h20, un mail lui parvenait : "Madame Laurence Marchand-Taillade. Le décret est tombé. Vous êtes condamnée à la peine capitale. C'est désormais une question d'heures..." Une menace signée du Hizb ut-Tahrir, groupe dissident des Frères qui prêche un califat mondial. Là encore, à quelques exceptions près, principalement citoyennes, les soutiens sont rares. "Quand on est complètement impliqué sur le terrain, qu'on cherche à dénoncer les choses et à les faire changer, on devient vite persona non grata." Avec tout ce que ça implique. Patrick Chesnet





(1) Nadia Remadna, Comment j'ai sauvé mes enfants, Calmann-Lévy, 2016

(2) Formée par les ex-EELV Jean-Vincent Placé et François de Rugy, rejoints par Jean-Luc Bennahmias du Front démocrate,  l'UDE voit officiellement le jour en octobre 2015

Article paru le 30 mars 2016 dans Charlie Hebdo