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jour après jour

 


Février 2006. Dessin : Honoré





6 mars
Dans Le Monde d’aujourd’hui, Michel Guerrin revient sur les annulations de projets artistiques consécutives aux attentats de janvier : « Pour ne pas mettre de l’huile sur le feu. Pour ne pas heurter les sensibilités religieuses, et d’abord celle des musulmans. » La tentation de l’interdit, note Guerrin, progresse particulièrement en France, « le pays en pointe en matière de liberté d’expression, notamment sur la religion. Si en pointe qu’il est isolé. Lâcher sur cette question, c’est envoyer un signe terrible à nombre de créateurs du monde arabo-musulman où le simple fait d’égratigner la religion, voire de dire qu’on est athée, peut mener en prison. » La même chronique évoque François Boespflug, historien des religions et dominicain, déclarant à L’Obs que « pour vivre ensemble, il semble qu’il va falloir introduire une prudence citoyenne et s’appliquer une autocensure pacifiste ».
"Prudence citoyenne". "Autocensure pacifiste".
Ou couardise audacieuse, qui sonne mieux.  



 
2 mars 
O
n nomme aujourd’hui les hommes comme autrefois les bêtes.  En vertu de toutes les diversités, nul ne s’étonne plus que pullulent les humains affublés de noms de chien, de hamster, de perruche ou d’otarie ; demain de pâte à tartiner, quand la Préfecture aura jeté l’éponge. Vouloir en nommant faire sens (filial, patrimonial, géographique) et tenter ainsi de s’inscrire dans une continuité – historicité – revient désormais à contester l’irréfragable souveraineté du libre-arbitre et de la marchandise. Ou comment une gamme de smartphones hongkongais, un canapé design, un poney des Shetlands et un petit d’homme peuvent se retrouver homonymes : l’enfant est une marque et son géniteur un concepteur-rédacteur (copywriter).
Réification des êtres, personnification des choses, telles ces automobiles françaises qui se vendent plus mal que les autres et qu’il faudrait appeler par leur petit nom.
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Bêtification. Aplatissement généralisé.
Horizontalité dévastatrice.



26 février
« Qui en France excuse l’islam radical, "comprend" le terrorisme, justifie l’antisémitisme des banlieues, brandit "l’islamophobie" pour dénoncer les réformateurs musulmans, les traiter de collabos, de harkis, défend bec et ongles le voile islamique, le halal, les droits séparés pour les femmes ? Une partie de l’extrême gauche : inconsolable d’avoir perdu le communisme, le prolétariat, le tiers-monde, elle se réfugie dans la défense d’un islam imaginaire dressé contre le grand Satan américain et son allié Israël, les deux figures du mal sur cette terre. Cette gauche-là dépassera bientôt la droite extrême dans sa haine des Juifs, rebaptisée pudiquement antisionisme. Puisqu’elle a échoué en tout, il lui reste au moins l’éternel bouc émissaire judaïque contre qui se retourner. On voit ainsi apparaître ce nouvel objet politique : "l’antisémite antifasciste", comme l’était le principal profanateur du cimetière de Sarre-Union qui jurait de combattre le nazisme… jusqu’au dernier Juif. Ce pourquoi tant de retraités du bolchevisme et du trotskisme se reconvertissent dans la bigoterie aux couleurs du croissant, dernier rempart contre le capitalisme maudit, soutiennent les prêcheurs les plus réactionnaires, embrassent les valeurs les plus contraires à leur camp. Leur subversion du système s’est inversée en apologie d’une doctrine régressive, leur vrai désir n’est plus l’émancipation du genre humain mais la servitude pour tous. » Pascal Bruckner, aujourd'hui dans Libération



25 février




Sur les réseaux sociaux écrire incontinent, réagir avant d’avoir pensé, parler au néant sans en être conscient, se prendre à témoin, exiger du miroir un écho…  A mesure que se délite le monde commun tente de s’y substituer l’artificieuse présence numérique. Seuls ensemble. « L’ultra-connectivité s’accompagne de comportements compulsifs qui mettent en péril les bienfaits d’une certaine solitude, nécessaire à la construction de soi. » L’anthropologue américaine Sherry Turkle a étudié pendant quinze ans les effets sociaux et psychologiques des nouveaux objets de la communication permanente. Son livre, publié par les éditions L’échappée (528 pages, 22 €), montre, preuves à l’appui, comment la technologie parvient à couper l’individu contemporain de ce qui constitue le fondement de toute relation humaine : l’altérité et sa part d’imprévisibilité, de risques et de plaisirs, à jamais inaccessibles aux systèmes informatiques. Il explore notamment la dépendance accrue des adolescents aux smartphones, et leur tendance à préférer les interactions médiatisées à celles en tête-à-tête, jugées trop risquées et trop exigeantes. A lire, sur papier. 



24 février




« Je me suis rendu compte que le discours antisémite contemporain était adossé à une idéologie plus vaste qui lui donnait sa légitimité (et) va de pair avec l’érosion des Etats-nations dans le processus d’unification européen et dans le processus de globalisation. On n’a pas assez réfléchi au fait que la condition juive, et pas seulement la condition nationale ou citoyenne des Etats européens, ressort ébranlée de cette évolution. Parce qu’en fait l’identité juive qui s’était reconstituée en France après-guerre était adossée à la nation, à la centralité de l’Etat, à la République, et elle réussissait le prodige d’assumer une identité tout en étant totalement insérée. C’est justement lorsque cette référence s’est lézardée que l’édifice en quelque sorte s’est décomposé. » France Culture a consacré ses précieux Matins, hier, au « nouvel antisémitisme », avec Shmuel Trigano, sociologue et philosophe, et David Chemla, secrétaire européen de JCALL – appel de Juifs européens pour la paix au Proche-Orient.
Ecoute vivement recommandée.



23 février




Auteur, rappeur et réalisateur du film Qu’Allah bénisse la France, Abd al Malik est l’un de ces jeunes suburbains éclairés dont les médias font des icônes et leur miel consensuel, à commencer par Canal+. Sur le plateau du Grand Journal, qui est aussi celui des Guignols, l’invité d’Antoine de Caunes, après avoir dénoncé « l’obsession » islamophobe, est revenu sur deux citations tirées de son dernier livre, à savoir « la liberté d’expression n’est pas une valeur non négociable » et « la nation n’a rien à gagner, ou si peu, de l’irrévérence », qu’il justifia en ces termes : « L’irrévérence a un autre nom : le manque de respect ». Parce qu’on sait ce que cette loi du respect importée de la culture mafieuse réserve aux objecteurs qu’elle se désigne, pour un mauvais regard ici, un dessin impie ailleurs, on saura gré à Canal+ et à son animateur, une fois n’est pas coutume, de s’être posés ce soir, face au sérieux glaçant des offensés perpétuels, en défenseurs d’« un certain esprit français ». Qui n’en a pas moins, chaque jour un peu plus lourd, du plomb dans l’aile.



 
22 février




« S’il n’y avait pas eu Voltaire, les caricaturistes féroces du christianisme, alors le christianisme serait encore religion d’Etat, on brûlerait les hérétiques, les mosquées seraient interdites en France, et les musulmans ne seraient pas citoyens à part entière. » Encore et toujours, rappeler l'évidence, tel Pierre Jourde aujourd'hui.
Et préciser avec lui
« qu’il y a dans Hara Kiri, Charlie Hebdo, depuis longtemps, des images du Christ dégradantes, violentes, et que les chrétiens n’ont tué personne pour autant. (Et qu’au passage il faudrait se demander pourquoi, parmi toutes les religions c’est uniquement au nom de l’islam qu’on fait des carnages. Etre musulman, c’est être hypersensible ?) ».




http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/zineb-la-resistante-457683.html
20 février




Charlie Hebdo, avant le 7 janvier, était beaucoup plus qu'un magazine illustré et satirique. S'en souvenir quand l'une de ses journalistes, Zineb Al Rhazoui, se trouve aujourd'hui nommément menacée de mort par qui l'on sait. Il faut avoir lu régulièrement ses reportages courageux, les éditoriaux et dossiers économiques de Bernard Maris, les enquêtes de Laurent Léger, les chroniques de Philippe Lançon, Fabrice Nicolino, Jean-Yves Camus, Paul Klein, Patrick Pelloux ou avant eux Philippe Val pour savoir que la presse française tenait là le meilleur, le plus libre sinon le plus cossu de ses hebdomadaires d'information. Comme Le Canard enchaîné, préservé de la réclame, il vivait de l'ardeur de ses plumes et de la fidélité de lecteurs attentifs. Sa lucidité lui coûta cher, qu'une partie de la gauche, allergique au réel, assimila à l'"islamophobie", la nouvelle friandise des tartufes.
Or au-delà du dessin, de la belle écume, Charlie était républicain et spirituel, exigeant et ouvert, littéraire et subtil. Puisse-t-il le demeurer.


 

19 février   
Elle est rousse et rosit sous les vivats, encore embarrassée de plaire à ce point. S'appelle Marion, Emji de son nom de Nouvelle Star, concours de chant qu'elle survole et remportera si le jeune public ne lui préfère pas quelque joli dadais. Ce soir elle a repris La Javanaise comme personne avant elle.






18 février
Actualité du dialogue entre les philosophes Jean Hyppolite et Julien Freund
alors que ce dernier soutenait sa thèse en 1965
(rapporté par Pierre André Taguieff)[1].
Hyppolite : « Sur la question de la catégorie de l'ami-ennemi, si vous avez vraiment raison,
il ne me reste plus qu'à aller cultiver mon jardin.
 »
Freund : « Écoutez, Monsieur Hyppolite, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen [juriste austro-américain]. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitiés. Du moment qu'il veut que vous soyez son ennemi, vous l'êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »
Hyppolite répondit : « Dans ce cas, il ne me reste plus qu'à me suicider. »
(1) Julien Freund – Au cœur du politique (La Table ronde, 2008)







17 février
Lu sur Twitter : « Je hais l’Etat islamique ». Lequel n'avait pas attendu notre invitation à s'ébattre dans le monde de l'alternative unique et numérique pour en cultiver tous les codes. Choisir de le détester, c'est déjà l'aimer : lui faire l'honneur d'une délibération.
 Like, hate, like, hate, Je suis Charlie, Je ne suis pas Charlie. Ici tout est relatif et peut changer très vite. Je hais Daech, moi non plus.




 
12 février
L'hebdomadaire spécialisé France Football (groupe L'Equipe-Amaury) consacre un dossier aux rapports entre "Foot et religion", intitulé "Quand Dieu mène le jeu" (11/2/15). Extraits : "J'ai joué dans les années 80 avec Rabah Madjer ou Alim Ben Mabrouk et il fallait être bien informé pour savoir s'ils étaient musulmans, nous renseigne Victor Zvunka, actuel entraîneur d'Arles-Avignon. Ces questions-là étaient beaucoup moins présentes, quelle que fût la confession religieuse. Déjà, la plupart des joueurs maghrébins étaient des étrangers, donc il y avait chez eux une volonté de se conformer le plus possible au fonctionnement du pays où ils arrivaient. (…) De plus, même ceux qui étaient nés en France, comme Ben Mabrouk, étaient nettement moins revendicatifs par rapport à leur foi qu'aujourd'hui. Le côté identitaire est plus présent de nos jours." Puis l'attaquant malien Frédric Kanouté évoque sa carrière et sa piété. "C'est plus dans la vie en général que j'ai senti la défiance par rapport à ma foi. Je ne renie rien car la France m'a beaucoup apporté et j'ai conscience qu'il y a des choses mauvaises et parfois graves faites par des personnes de ma communauté. Mais il y a quand même ici une sorte de dictature de la laïcité. Je l'ai compris en allant en Angleterre."







22 janvier
Dépourvu de tout cadre juridique, le camp de détention de Guantanamo a suscité à ce titre d'innombrables critiques et l'ouverture d'enquêtes au sein même de l'armée américaine. Le Monde daté du 22 janvier publie sous le titre "Une plongée dans l'enfer de Guantanamo" le "témoignage terrifiant" du Mauritanien Mouhamedou Ould Slahi, incarcéré sur la base militaire depuis l'été 2002 sans jamais avoir été jugé. Evoquant "l'absurde et terrifiante machine antiterrorise mise en place par les Etats-Unis après le 11-Septembre", l'article détaille les traitements infligés aux captifs : "Les détenus ont l'interdiction de se parler. 'La punition, en cas de non-respect de cette règle, était la pendaison par les mains, les pieds touchant à peine le sol' […] En mai 2003, les agents du FBI sont remplacés par des militaires. Commence alors un autre calvaire. Coups, humiliations sexuelles, privation de sommeil, station debout et musique assourdissante... le jeune Mauritanien raconte des mois de torture. Quatre équipes se relaient nuit et jour pour le maltraiter." Les procédures judiciaires d'exception sont une tache au front de la démocratie et Guantanamo inspire la honte. Mais si l'on est "terrifié" de ce qui se déroule dans cet "enfer", quels mots choisira-t-on, et de quel poids pèseront-ils, pour dire la Syrie, l'Irak ou le Nigeria d'aujourd'hui ? Délayée de contrition, la religion de l'équivalence arase, aveugle, altère – misère langagière dont le mal se nourrit, trop heureux de n'être plus nommé.