Signée par les frères Larrieu, sortie en mai 2003, une traversée des genres et des tourments amoureux qui monte en puissance, allègre ou tragique, vers un final magnifique.
Mathieu Amalric et Hélène Fillières |
«La femme qui a trouvé à qui se donner ! Et voilà que le sot homme se trouve bien surpris avec lui de cette personne absurde, de cette grande chose lourde et encombrante. Tant d'habits, tant de cheveux, quoi faire ?" (1) Allez savoir pourquoi, le film des frères Larrieu et le personnage de Marilyne - Hélène Fillières olympienne - nous évoquent l'Ysé de Claudel, embarquée parmi les hommes en une aride traversée. Boris - Mathieu Amalric - emprunte tour à tour, lui, aux trois figures viriles du "Partage" : De Ciz le mari, Mesa l'amant de cœur et... Amalric le cynique que nulle femme n'émeut plus. "Enfin, elle est là, n'est-ce pas ? Elle manquerait si elle n'y était pas. C'est gentil à avoir de temps en temps…" (1) "Un homme, un vrai" déroule l'initiatique voyage en trois actes d'inégale densité, trois positions arrêtées sur le diamètre du temps, entrecoupé d'ellipses.
En ville l'idylle des amants inconscients : agitation du
soir, comédie de l'indétermination - inversion des rôles. Et l'on croit encore
entendre Ysé : "Un homme entre les
bras d'une femme, comme une chose par terre qui ne peut plus tomber, rien qu'un
pauvre homme à la fin entre mes bras. Mesa :- Ah, je ne suis pas un homme fort ? ah, qui dit que je suis un homme
fort ? mais j'étais un homme de désir (…) Un homme et qui est pris. Ysé : - Un homme et qui est à moi. (…) Et moi,
est-ce que je suis un homme ?" Ibérique et quichottesque, Marilyne est
moins fatale alors, en mâle, que son petit époux égocentré jusqu'à la perte, la
sienne et celle des autres.
L'acte deux, la tragédie, s'engage au large d'Ibiza,
"à cette heure de midi où l'on voit
tellement ce qui est tout près que l'on ne voit plus rien d'autre",
aveuglé par cette lumière du Sud propice au démon "qui frappe en plein midi"
(Psaumes) et aux jeux illusoires. Marilyne-Ysé-Médée sacrifie ses enfants.
Dernier
acte en montagne, bloc de réel à mains nues agrippé, bordure d'abîme ou de
métamorphose ; à l'affût du chant de capitulation des coqs de bruyère - aveugles
et sourds le temps de séduire -, le couple désuni lutte toute une nuit contre
la peur et le doute. Au matin de l'éveil, du rassemblement des forces
dispersées "et (de) l'amour qui devient acceptation",
elle sera femme et enfin mère, il sait où il est. "Et je vois que tu m'aimes, et que tu m'es accordé, et je suis avec toi
dans une tranquillité ineffable." Sans le regard de la femme posé sur
lui, dit un poème andalou, l'homme n'est rien. Intense beauté de l'épilogue : économe
de mots, attentif à ces silences pyrénéens chers aux Larrieu. L'amour, le
vrai, peut commencer. C.F.
(1) Les citations en
italique sont extraites de "Partage de midi" (Paul Claudel, 1905).
Article paru en octobre 2008 dans Le Nouvel Observateur